Cette nouvelle a été totalement inspirée par cette vidéo superbe réalisée par Pierre Niney et du coup cette nouvelle a un peu plus d'un an.
Elle était fatiguée, elle avait mal aux
pieds, au dos, et elle apprécierait bien de rejoindre la quiétude de son
appartement parisien tout de suite. Il était 22 heures, c’était l’été et le
café Le Phénix était encore ouvert. Au
travail elle était plutôt solitaire, elle n’aimait pas spécialement ses
collègues, ils n’avaient pas la même passion, les mêmes intérêts qu’elle. Elle
n’attirait donc généralement pas la sympathie auprès des autres employés, un
peu hautaine et distante. Mais les clients l’appréciaient en général, elle
savait toujours se montrer calme et souriante même lorsqu’ils étaient impolis,
bruyants, indécents ou simplement impatients.
Cela faisait maintenant 2 ans qu’elle
travaillait dans ce café huppé de l’Avenue Georges V. Elle avait postulé dans ce café pour
quitter le cadre trop strict et fermé des restaurants et hôtels trop étoilés.
Elle aimait travailler dans la haute restauration mais elle favorisait les
lieux ouverts et plus accessibles à une population qui n’était pas spécialement
extrêmement riche et venant d’un milieu trop select. En travaillant au Phénix elle avait en plus un regard
direct sur la rue, sur les gens qui se promenaient, flânaient, traversaient,
attendaient un ami, un amant, un rendez-vous…
Sandra était une des rares employées qui
choisissaient systématiquement les horaires de soirée. Elle aimait la
population nocturne, observer Paris qui passait doucement entre chien et loup. Ce
jeudi elle avait bien travaillé et elle avait même gagné un bon pourboire de la
part d’anglais très agréables. Dans plus d’une heure le café allait fermer, il
allait falloir nettoyer les tables, entasser les chaises où s’était assis des
dizaines de postérieurs différents et ranger les verres et couverts qui
accompagnaient tant de personnes chaque journée. C’était Sandra en général qui
fermait le café. Elle aimait être la dernière, quand la rue était encore calme,
encore peu occupée par les parisiens de sortie. Alors, elle passait faire un
dernier tour dans le café, elle passait derrière le bar, effleurait le
comptoir, tournait doucement dans la salle faisant résonner ses talons,
regardait cet amas de tables qui regroupaient des amis, des amants, des
collègues, des partenaires, des familles, chaque jour, chaque soirée… Puis, une
fois qu’elle avait fait son dernier tour, elle éteignait la lumière, et elle
quittait le café.
Sa vie semblait très rythmée par un rituel
précis, ne laissant peu de place au hasard et à l’inconnu. Seulement, ce
n’était pas de cette façon que Sandra vivait. Elle avait c’est vrai des
habitudes récurrentes, mais la beauté de travailler dans un café et de vivre la
nuit faisait de chaque lendemain une surprise. Certains soirs elle faisait de
belles rencontres, et après le travail elle retrouvait un groupe d’amis qui
l’avait invité danser en toute convivialité. D’autres elle assistait à des
scènes poignantes, des demandes en mariage, des ruptures, des annonces
d’heureux évènements ou des retrouvailles, ces moments changeaient sa vie le
temps d’un instant, le temps d’une nuit. Il arrivait aussi des soirées qui ne
se passait pas très bien, malgré sa bonne volonté et son professionnalisme,
elle finissait parfois à pleurer dans les vestiaires du Phénix suite à des
comportements honteux de clients détestables, ou alors elle avait plus de mal à
supporter la douleur des 6-7 heures de travail effrénés et elle craquait en
rentrant seule chez elle.
Mais cette nuit-là elle avait demandé à
partir avant la fermeture, elle voulait vivre la clôture de Paris et comme quelques
fois par mois simplement travailler comme une employée lambda qui part avant la
fermeture. De temps à autres elle s’octroyait un petit plaisir. Elle voulait
assister à ce ballet de magasins touristiques, de café, de restaurants, de
boutiques qui un à un s’endormaient, prêts à reprendre vie dès l’aube. Il était
déjà 22h30, elle s’était changée, et ne ressemblait plus à une serveuse
élégante mais à une femme gracieuse et chic qui se fondait dans la clientèle
fortunée qu’elle servait. Sandra était une femme à talons. Même après 6 heures
de travail à piétiner, elle continuait à porter ses stilettos rouges, bleus,
jaunes... Elle ne se sentait pas elle sans ses chaussures, son sac à
bandoulière Chanel qu’elle portait toujours sur une épaule et une tenue élégante.
Comme comble de son confort, elle arborait parfois une de ses robes souple et
épousant ses formes. Elle ne cherchait pas à séduire, elle n’avait pas la
prétention d’émouvoir les foules, mais elle avait toujours cherché à être
belle, à se sentir belle. Dans le milieu dans lequel elle travaillait il est
essentiel de savoir se mettre en valeur élégamment, sans en faire trop, rester
dans la sobriété classique mais nourrir l’attirance. La restauration de luxe
est un domaine très élitiste et Sandra avait du travailler dur pour en arriver
là, seule mais qualifiée. Sa préférence pour la nuit l’avait amenée à servir
dans des endroits luxueux qui la recherchaient pour son professionnalisme sans
faille. Elle avait servit des grandes tables pendant des dîners de célébrités,
des galas et jamais elle n’avait exprimé une seule plainte face aux nombres de
convives, à la durée des évènements trainant jusque tard dans la nuit ou à la
pression à laquelle elle devait faire face ces nuits où les clients attendaient
un service des plus irréprochable. Ce n’est pas qu’elle ne fatiguait pas, au
contraire, elle se donnait totalement dans son travail et en ressortait
régulièrement épuisée, les pieds écorchés et les poignets douloureux. Mais elle
aimait ce qu’elle faisait, elle aimait cette sensation d’être indispensable, de
travailler pour toutes ces personnes riches, pour la plupart méritantes et
érudites. Elle n’était pas qu’une serveuse avec de hautes qualifications, non.
Elle était plus que ça et parfois, durant son service il lui arrivait qu’un
convive lui prête attention et entame une discussion avec elle. Dans ces
moments là, elle savait que la nuit allait être douce et étoilée. On ne la
rangeait plus dans la case des employés lambda et on la jugeait assez digne de
finesse pour entamer une réflexion sur l’auteur présenté lors du vernissage de
la soirée par exemple. C’est pour ces moments furtifs, éphémères, qu’elle
aimait travailler dans la restauration de luxe. Et c’est aussi pour cela
qu’elle aimait travailler de nuit, car même dans un salon lumineux, la nuit
nous change et nous fait baisser les armes, nous ouvre un peu plus aux autres,
d’une façon différente qu’en plein jour.
Cette nuit-là Sandra claquait ses talons sur
le pavé de l’Avenue George V et se sentait libre. Elle avait décidé de rentrer
chez elle à pieds mais avant cela, il fallait qu’elle descende les Champs.
C’était un de ses moments préférés de la nuit. Elle marchait le long de la rue,
une Sobranie noire allumée à la main, et elle regardait les boutiques fermer,
les employés en train de finir le nettoyage, les touristes découvrant Paris la
nuit et les jeunes déjà en chemin pour un rendez-vous chez des amis. Elle
remarquait aussi les gens un peu comme elle, ceux qui se promenaient pour
s’imprégner de Paris, sans direction particulière, les yeux comme appareil
photo et leurs oreilles comme guide. Sandra sourit doucement. Définitivement
elle appréciait cette aura nocturne, de silence et de bruits qui se coordonnent
doucement. La nuit, qui clôture la journée de ces personnes et qui est le début
d’autres dans cette capitale majestueuse. Elle était d’une nature solitaire et
appréciait d’autant plus la nuit qu’elle n’avait besoin de personne pour
profiter de moments si simple. Elle était toujours persuadée que si elle vivait
avec quelqu’un, si elle devait partager ses promenades nocturnes avec une
personne, le charme serait rompu. Le pas de l’autre briserait le rythme de ses
talons résonnant dans la ville, la présence de l’autre gênerait sa liberté
d’observation et plus que tout, la parole de l’autre gâcherait le mystère du
silence de la nuit. C’était inconcevable qu’une personne l’accompagne. Elle
était d’une nature très sociable et ouverte aux autres, mais seulement dans un
cadre particulier, dans l’espace public. La nuit était sa protection à sa
solitude. Cependant… Il lui arrivait d’espérer, qu’après sa marche solitaire,
une présence humaine l’attendrait chez elle…
Il arrivait qu’elle se fasse interpeler par
quelques badauds intrigués par la présence de cette jeune femme si élégamment
vêtue. Ils manifestaient leur curiosité la voyant en chemin vers quelques
destinations inconnues, parfois polis, parfois gênants, mais rien de grave
n’arrivait jamais. Sandra était douce mais ferme et la nuit rien ne pouvait lui
arriver, elle était sous la protection du sommeil du Saint Astre. Alors elle
passait sa route, souriait poliment ou ignorait l’incongru personnage et continuait
de son pas toujours assuré.
Source |
Elle était enfin arrivée Place de la
Concorde, place d’un de ses anciens et plus prestigieux contrat au restaurant
Les Ambassadeurs de l’hôtel Crillon. Il ne lui restait plus qu’une vingtaine de
minutes à pied pour rejoindre son appartement, Quai Malaquais. Elle aimait pour
le rejoindre traverser la scène par le Pont du Carrousel. Il était large et
face au Pont des Arts, majestueux et digne dominant le pont des amoureux d’un
jour ou d’une vie.
Chaque nuit c’était la même chose, elle
allumait une dernière cigarette à l’entrée du pont et elle marchait lentement, doucement,
silencieusement, laissant les volutes de fumée s’unir avec le velours noir de
la voie lactée. Elle s’arrêtait vers le milieu et se penchait pour regarder le
Pont des Arts. Puis, elle fermait les yeux, portait la cigarette noire à sa
bouche et inspirait doucement. Elle écoutait le ballet pressé des rares voitures
sur le pont, les quelques pas des inconnus joyeux, inquiets, le murmure de leurs
paroles confessées à la nuit et la Seine clapoter… Elle levait ensuite la tête
vers les étoiles, et tout en expirant ouvrait les yeux. La fumée la faisait
parfois pleurer et elle laissait ses larmes couler face au ciel nocturne. Elle
aimait sentir rouler sur ses joues ses petites perles humides brouillant sa
vision et faisant miroiter les lumières de Paris endormie. Il était temps de
rentrer chez elle. Sandra n’avait pas besoin d’y passer des heures pour profiter
de l’obscurité éphémère, tout tenait dans l’instant où elle y captait sa magie,
sa singularité. Maintenant, elle pouvait dormir sereine et accompagner la ville
dans son repos journalier.
Elle
entra dans l'ascenseur, et les portes se refermèrent sur Paris assoupie.
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