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mardi 18 août 2015

Hors du temps.


Elle s'assoit. Deux heures déjà qu'elle danse ? Ce que le temps passe vite lorsque l'on quitte le contact avec la réalité. Elle est épuisée, elle ne sent presque plus ses pieds, elle se sent vidée mais qu'est-ce qu'elle se sent bien. Son partenaire à trouvé une nouvelle demoiselle pour l'accompagner, il la regarde de loin avec beaucoup de tendresse continuant de tournoyer.
La musique classique remplit la salle de danse. C'est un lieu magnifique, haut plafond en coupole entouré de nombreux vitraux et un parquet martelé depuis des années par des pas de grands et petits danseurs qui lui ont donné cette patine unique. Un petit château inspiré par celui de Vaux-le-Vicomte abrite ce lieu particulier. Tout les week-end de l'année des dizaines de personnes se retrouvent ici pour valser sur les mélodies d'une autre époque. Ces personnes cherchent toutes la même chose : arrêter le temps.


C'est ce qu'elle a voulu atteindre et elle n'y est arrivé qu'après sa troisième visite. Ce soir-là elle était détendue, elle avait un peu bu et surtout son amant lui avait offert une après-midi divine. Elle avait alors dansé comme jamais, ses chaussures de satin bleues effleurant le sol, les volants de sa robe créant un nuage voluptueux autour de ses jambes et dévoilant sa fine hanche et son bustier était alors mis en avant brillant de mille feux de ses perles infinies. Elle dansait avec un homme talentueux mais on ne voyait qu'elle et elle ne savait même plus où elle se trouvait. L'horloge de son temps s'était figée et elle avait réussi à briser l'unité de sa vie. Elle était libre, hors du temps, hors d'elle et de ses contraintes. Elle avait perdue son prénom, son nom, son corps, elle n'était qu'une beauté valsant au rythme du magnifique et puissant morceau de Kachaturian, la Valse de la suite orchestrale Mascarade. Et elle dansait, tournoyait, elle vivait enfin.
C'était comme si plus rien ne pouvait exister hors de cette pièce, comme s'ils étaient les seuls au monde à connaitre les secrets de l'univers. Dès lors il ne pouvait se passer une semaine sans qu'elle ne retourne au château. La valse était devenue un second souffle sans lequel elle ne pouvait plus vivre.
En repensant à sa première vraie fois dans cette salle elle sentie ses joues s'empourprer et ses cuisses se réchauffer. Elle avait vécue comme une expérience sexuelle qui l'avait transportée comme son amant l'avait transportée quelques heures auparavant. Elle se leva et laissa derrière elle les danseurs en se dirigeant vers le jardin.
La musique était portée jusque dans les bosquets. Elle leva la tête et tout en plongeant son regard dans le ciel étoilé elle commença à danser au rythme de la mélodie. Un, deux, trois, un deux, trois, les pas s'enchainaient naturellement. Des larmes coulèrent doucement sur ses joues toujours face aux étoiles. Elle tournait, tournait sur elle-même et une infinie tristesse l'envahissait un peu plus à chaque pas. Il y avait trop longtemps qu'elle n'avait plus ressentie de bonheur aussi grand et toute sa tristesse passée resurgissait, comme si son corps réclamait une purge. Alors, elle pleura, elle dansa en pleurant. Elle portait la même robe que ce jour-là. Elle était libre, elle était enfin entière. Elle s'arrêta et retourna d'un pas vif dans la salle, il fallait que la musique la transperce, il fallait que ces personnes l'entourent, il fallait que ce dôme la domine, il fallait qu'elle danse avec lui. Quand elle entra on jouait la Valse numéro 2 de Shostakovich. Son amant était là, il l'attendait et se dirigea vers elle sans poser de questions sur les sillages noires de son maquillage sur ses joues. Ils se dirigèrent au centre de la pièce et valsèrent. Ses yeux étaient son nouveau ciel étoilé, elle souriait maintenant et elle comprenait que commençait aujourd'hui une nouvelle vie. Elle sentait qu'elle avait réussi à rompre le scellé de son coeur et que cette nuit serait la première nuit du reste de sa vie, et au vu du sourire de son partenaire elle comprit qu'il y jouerait parfaitement son rôle.



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